Entretien avec Corentin Renaud,
BIM Manager chez de Giuli & Portier architectes.
Depuis 2016, l’atelier d’architecture de Giuli & Portier architectes a intégré et développé son propre pôle BIM. Aujourd’hui composée de 8 membres, l’équipe ne cesse de s’agrandir. Et pour cause, de plus en plus répandue, le BIM a révolutionné la façon d’aborder la construction des bâtiments, notamment lorsqu’ils sont de nature complexe.
Il a induit une grande évolution dans les procédures des phases d’exécution et de suivi de chantiers. Il a réussi à réunir tous les acteurs d’un projet autour de la table et les a amenés à partager une même vision, des objectifs communs et connus de tous.
Lorsque certains intègrent le BIM à partir des phases d’exécution, chez de Giuli & Portier architectes, nous l’incorporons dès les premières étapes du projet.
Au même titre que le processus architectural, pour moi, le BIM constitue un processus à part entière. Il est parfois considéré comme un simple outil, mais en réalité le BIM est une méthode de construction.
Je dirais qu’il se définit comme l’ensemble des attentes et des objectifs que l’on souhaite donner à un modèle numérique informé.
Les outils liés au BIM sont bien souvent les mêmes que ceux que l’on utilise pour la conception architecturale comme l’imagerie laser, les logiciels de dessin, de rendu et de traitement de données.
Le BIM n’intervient que pour organiser ces différents outils. Il apporte notamment de la cohérence au niveau des informations produites, des formats informatiques et des flux d’échanges documentaires.
Par rapport à une grande partie des pays européens et des cités-États, la Suisse a pris du retard sur le déploiement du processus BIM. La raison principale, je pense, est la décentralisation des instances décisionnaires de notre pays. Chez nos voisins européens, c’est l’État qui a démocratisé la méthode en mettant en place des lois et des grands projets publics.
En Suisse, il y a une prépondérance du secteur privé qui n’a pas encore réalisé les avantages du BIM. Cela a aussi probablement impacté sa mise en œuvre. Étant donnée sa progression actuelle, je pense que d’ici 5 ans le processus BIM sera pleinement démocratisé en Suisse.
Je dirais qu’on peut classer les enjeux du BIM selon trois grandes catégories : la mise en place, le processus en lui-même et la formation. Dans la plupart des pays qui ont déjà adopté la méthode BIM, l’État a promulgué un cadre concret. Cela impulse les grandes lignes de la démarche BIM.
L’uniformisation de la demande permet d’instaurer un cadre législatif, contractuel, documentaire et normatif. C’est selon moi l’un des enjeux majeurs du BIM en Suisse. La documentation SIA et Digital BIM n’apportent qu’une définition du processus BIM. Elle ne cerne pas clairement les objectifs principaux, nécessaires à l’évaluation du temps de travail.
Je recommande vivement aux maîtres d’ouvrage qui me liront d’anticiper la planification du projet et de définir des objectifs clairs en amont. Cela nous permet de répondre plus facilement à leurs besoins réels.
Ensuite, les enjeux d’utilisation sont aussi vastes que les possibilités que nous offrent l’informatique et la numérisation. De nos jours, l’usage du BIM se résume souvent juste à une coordination interdisciplinaire alors qu’il pourrait répondre à des objectifs beaucoup plus ciblés. On pourrait imaginer par exemple le mettre à profit dans des modèles pour les calculs énergétiques, le désenfumage, les ferraillages, etc.
Enfin, il me semble essentiel d’accentuer l’apprentissage du BIM dans les écoles, tant au niveau cantonal que fédéral. Il s’agirait d’appréhender et de comprendre le processus en lui-même plutôt que de simplement se familiariser aux logiciels. Ce déficit en formation est en défaveur des entrants et entraîne une quasi-dépendance aux profils externes.
C’est une question très large, car il y a en réalité de nombreux paramètres qui entrent en jeu. Mais la première difficulté que je perçois est le contrat BIM. Il est souvent trop vague pour sécuriser pleinement le processus.
Un contrat clairement défini permet d’éviter le deuxième écueil : la rémunération. Des objectifs explicites établissent le temps de travail nécessaire de façon précise. Cela sécurise les deux parties sur le long terme.
Le dernier obstacle à son déploiement, selon moi, réside dans le manque d’enseignement global du processus BIM, comme je viens de le mentionner.
De manière générale, la montée en compétence de tous les acteurs du bâtiment pose parfois problème. Certains maîtres d’ouvrage peinent encore à réaliser que la phase de conception à travers le processus BIM est plus chronophage que dans une démarche architecturale classique.
Le processus étant étroitement lié aux performances spatio-temporelles d’un bâtiment lors des études de conception, de construction et d’exploitation, je pense que le principal bénéficiaire de cette méthode reste le client lui-même.
Le maître d’ouvrage peut garder un œil sur le projet durant toutes les étapes, car il accède directement aux différents éléments de travail de tous les intervenants. Dès la phase de conception, cela lui permet ainsi d’avoir un contrôle du projet quasiment en temps réel.
Les avantages sont donc multiples. D’une part, la coordination plus précise grâce au BIM diminue le temps de chantier par rapport à un projet classique. D’autre part, le maître d’ouvrage contrôle son patrimoine de manière optimale pour l’entretien de l’édifice à long terme. Il peut par exemple gérer l’utilisation des espaces, surveiller la consommation énergétique ou encore réaliser facilement des métrés pour renouveler certains éléments.
Généralement, le client n’est pas sachant sur le BIM. Il me semble important qu’il soit accompagné et conseillé sur les possibilités que peut offrir ce type de projet.
Lors de la phase de conception, la maquette BIM permet de visualiser le rendu du bâtiment, mais surtout d’en extraire les surfaces et les volumes pour établir des quantités. Son atout est de structurer des modèles mandataires pour anticiper les étapes à venir avec une plus grande justesse, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Attention toutefois, car le degré de modélisation impacte nécessairement le temps de réflexion et de production architecturale : ce qui est avant tout le savoir-faire d’un bureau d’architecture comme le nôtre.
Le BIM en phase de conception est donc un subtil équilibre entre les attendus contractuels de la maîtrise d’œuvre et la fluidité conceptuelle et créative que les clients attendent de nous.
J’aime tous les projets sur lesquels je travaille. Ils sont tous enrichissants et j’apprends au quotidien. Mais si je ne dois en citer qu’un seul, je dirais le projet du campus Audemars Piguet au Brassus, pour l’engagement BIM de ce prestigieux client.
Le mot de la fin? Fin.